G - LA COURSE
ANNEXE G
LA COURSE
HISTORIQUE :
Il est possible de distinguer quatre époques dans le développement de la Course pratiquée par les navires tunisiens.
De 1270 à 1516, une période pendant laquelle "Course", et "piraterie" sont difficilement dissociables en dépit de l'institution des Républiques autonomes des ports de Tunis et Bizerte. En effet, les Princes n'ont que peu d'autorité, et les Raïs sont libres de leurs ambitions.
De 1516 à 1590, une période, qui a parfois été qualifiée d'héroïque, durant laquelle ont agi les plus célèbres Raïs: Khereddine, Dragut, Orudj et Outch Ali. Ces corsaires ont souvent, à terre, des fonctions de gouverneurs . Ils détiennent l'autorité, et traitent avec les Grands du monde de l'époque, participant, ainsi au concert des relations internationales entre Européens et Arabes du XVI° siècle.
De 1590 à 1650, les Raïs retrouvent, avec l'affaiblissement du pouvoir ottoman en Tunisie, une plus grande indépendance. Ils conduisent, alors, leurs opérations dans le seul souci du profit, sans égard pour les traités officiels.
La dernière époque s'étend de 1650 à 1816 et voit la Course entièrement contrôlée par le pouvoir officiel.
Certes, quelques armateurs privés maintiennent une activité de commanditaires, mais celle-ci est sans commune mesure, du point de vue du nombre et de l'efficacité, avec celle de l'Etat. La fin du XVIII° siècle est particulièrement active.
Suite aux exigences européennes, 1816 marque la fin officielle de la Course. En fait, l'activité se maintiendra jusqu'en 1823, les derniers corsaires devant disparaître en 1843.
LES CONDITIONS GENERALES DE LA COURSE :
La Course était organisée comme une gigantesque entreprise commerciale. Les corsaires attaquaient par petits groupes de 3 ou 4, le plus souvent en pleine mer. Ils relâchaient, ravitaillaient, et réparaient dans des criques discrètes. Ils acheminaient leurs butins et leurs esclaves vers les ports africains, pour les négocier. La Course était la principale richesse de ces provinces ottomanes. Elle avait le triple avantage de rapporter des marchandises, des esclaves et des navires.
Si les pachas avaient mis un terme à cet usage, le pays aurait été ruiné, la population affamée, les galères sans rameurs; quant aux Janissaires qui faisaient trembler les Pachas, ils se seraient sans aucun doute révoltés, ne pouvant plus être régulièrement soldés.
Seuls les capitaines-corsaires, les fameux Raïs, conscients que sur eux reposait la prospérité du pays, tenaient tête aux Janissaires.
Les palais des Raïs se paraient de faïences de Delft, de marbre d'Italie, de soieries de Lyon, de verreries de Bohême, de tapis d'Orient, de glaces de Venise, de pendules d'Angleterre.
En fait, la course était "Course" dans les époques, de pouvoir fort et "Piraterie" lorsque le prince était faible. Les habitudes, us et coutumes, ne changeaient guère pour les victimes de ces actions quel que soit le qualicatif qui pouvait leur être accordé.
Il importait peu au prince d'être en conflit avec les puissances européennes, et il y trouvait même plutôt avantage. L'espèce de guerre qu'il leur faisait alors lui rapportait infiniment plus que les conditions de paix auxquelles il était soumis.
De plus, les avantages et présents qu'il tirait des accords et traités signés successivement avec les différentes puissances européennes, étaient autant d'occasions d'améliorer les finances de l'Etat. Le Prince exerçait alors une sorte de chantage qui mettait les Occidentaux en compétition entre eux.
Enfin, s'il est possible de mettre en cause la réelle efficacité et la productivité des expéditions corsaires, il est indéniable que ces derniers surent créer un sentiment de terreur en Méditerranée qui, utilisé comme un instrument de dissuasion par les Princes des provinces barbaresques, leur permit de vendre chèrement la délivrance de patentes et de sauf-conduits aux états européens soucieux de préserver leurs intérêts commerciaux.
Les Raïs n'étaient tenus de respecter les navires des nations alliées que dans la mesure où le prince avait l'autorité suffisante pour pouvoir l'exiger.
Lorsque l'escadre du Bey allait en Course, les corsaires cherchaient, aussi souvent qu'il leur était possible, à aborder les territoires qui étaient considérés comme ennemis et à y enlever tout ce qu'ils trouvaient sur leur passage: denrées, marchandises, objets précieux, hommes, femmes , et enfants: tout était "bonne prise".
Quand ils rencontraient des bâtiments sous pavillon d'un pays qui n'avait pas conclu un accord de paix avec le gouvernement, ils l'attaquaient et le pillaient.
Le partage s'effectuait entre le capitaine et l'équipage. Les prises devaient être suffisamment fréquentes sous peine de voir le capitaine débarqué et écarté des commandements de navires, ce qui explique leur frénésie à trouver de bonnes prises y compris à terre. Le pillage de la terre les dédommageait des désappointements de la mer.
Lorsque les corsaires avaient fait quelques prises, ils signalaient l'événement dès leur arrivée devant La Goulette par une forte canonnade. Les captifs étaient ensuite indistinctement débarqués et conduits devant le Bey.
LES PRISES HUMAINES :
Si le sort des femmes et des jeunes garçons captifs étaient particulièrement tragiques, car les uns et les autres servaient à assouvir les besoins sexuels, voire les passions de leurs maîtres, il faut reconnaître que dans l'ensemble, les captifs étaient bien traités; non seulement ils représentaient un capital, mais de plus la loi islamique prescrivait aux maîtres la patience, la justice et la bonté envers celui qui lui était soumis. Même les galériens étaient mieux traités que les "Turcs" des chiourmes du Roi de France: on ne les marquait pas aux fers rouges, et on les laissaient pratiquer leur religion.
Normalement, les capitaines des navires capturés, les prêtres, les médecins, et quelques autres passagers de marque étaient traités avec un peu plus d'indulgence que les laboureurs, les artisans, et autres gens du commun, qui étaient envoyés à la Manouba, ou aux travaux publics.
Ces derniers étaient couramment maltraités par leurs gardiens qui prélevaient même une partie des modestes sommes que le Bey accordait à chaque esclave. La mortalité était élevée.
LES TECHNIQUES CORSAIRES :
Les navires employés étaient, généralement des galères dont les dimensions pouvaient atteindre 55 mètres de long, et 5 mètres de large. Les déplacements hors combats se faisaient à la voile. Lors des affrontements, la propulsion était assurée par des rameurs, un par rame, ce qui procurait une grande souplesse et beaucoup de manoeuvrabilité.
En avant de la proue, un éperon en bronze était destiné à endommager les bâtiments adverses, et à les immobiliser pour permettre l'abordage. Ces navires corsaires n'étaient pas fortement armés car l'accroissement du nombre des canons les aurait alourdi et aurait donc, réduit leur vitesse.
Les types les plus connus étaient les goélettes, les felouchs et les chébecs (voir annexe H). Les équipages étaient rappelés à bord par une flamme verte hissée au mât principal. Chaque homme embarquait avec son mousquet, son cimeterre et son couteau long. Le marin pouvait également emporter quelques vivres et une couverture.
La chiourme était composée d'esclaves, jusqu'à 200 par galère, enchaînés à leurs bancs, et généralement nus. Ils travaillaient de dix à vingt heures par jours, à la cadence rythmée par un chef de chiourme.
LA CONSTRUCTION NAVALE :
Les flottes corsaires manquaient de bois pour la construction, la réparation ou l'armement des navires. Celui-ci venait de Turquie ou d'Europe. Les prises à la mer étaient toujours l'occasion de récupérer sur l'ennemi les matériaux qui faisaient défaut en Tunisie. Les bateaux eux-mêmes étaient parfois réarmés au profit des Raïs. L'approvisionnement en cordages, voiles, armes et munitions posaient un problème très similaire, et chaque Raïs constituait des lots de rechanges qu'il conservait dans un magasin, et qu'il renouvelait à partir de ses prises à la mer.
Annexe H - Le Chébec