F - LES CORSAIRES TUNISIENS
ANNEXE F
En 1462, le sultan Mohammed II qui avait conquis Constantinople et l'île de Mytilène en Mer Egée, avait un soldat originaire de Salonique qui se nommait Yacub, auquel il attribua des terres dans l'île. Ce Yacub était un renégat sicilien. Il parlait turc, était musulman et se disait ottoman.
Il fit souche à Mytilène et son épouse, une Andalouse, lui donna quatre fils, dont les noms retentirent bientôt dans toute la Méditerranée: Orudj, Khereddine né en 1466 (ou 1476), Iliesse et Ishak.
Iliesse disparut assez tôt. Les trois autres s'adonnèrent à des activités maritimes, acquirent leurs propres navires et commercèrent avec l'Afrique du Nord avant de se lancer dans la Course.
Vers 1512, intéressé par une participation au butin, Abdallah, sultan de Tunis, accorda à Orudj et à Khereddine une base à La Goulette puis une seconde dans l'île de Djerba. L'affaire prit rapidement des proportions importantes au point que les deux frères disposèrent d'une escadre capable d'attaquer, non seulement les marchands chrétiens, mais aussi les bâtiments espagnols défendant les points d'appui établis par Charles-Quint sur les côtes maghrébines. Cette flotte comprenait de 10 à 12 navires.
Tirant parti de la situation et de la faiblesse du sultan Abdallah, les deux frères découvrirent les divisions et les querelles de l'Afrique du Nord. Ils exploitèrent les rivalités des gouverneurs locaux et s'établirent sur les côtes kabiles.
Dans les combats contre les Espagnols, Orudj fut tué, mais Khereddine tint bon à Alger en dépit des attaques répétées. L'escadre espagnole détruite dans une forte tempête, Khereddine devint roi d'Alger.
Barberousse disposait de 600 Turcs et de quelques milliers de Maghrébins: ce n'était pas suffisant pour repousser des attaques de forte ampleur. Il proposa alors en 1520, ses terres à la souveraineté du sultan ottoman, Sélim I°. Ce dernier l'accepta et l'investit gouverneur général, Beylarbey, et renforça ses moyens avec 2 000 janissaires, des canons, et une escadre de soutien.
La première Régence barbaresque était créée. Celles de Tunis et de Tripoli ne tarderaient pas à suivre.
Un peu plus tard, Barberousse fut chassé d'Alger par une coalition du sultan de Tunis et de gouverneurs locaux. Il s'empara du Constantinois puis de Djerba d'où il reprit la Course avant de revenir à Alger en 1525.
Khereddine était courtisé, au même titre que Andréa Doria son rival, à la fois par Charles-Quint et par François I° qui essayaient d'acheter ses services.
En 1534, Barberousse fut envoyé à Tunis où deux compétiteurs locaux se disputaient la royauté. Avec son escadre de 84 voiles, il les mit d'accord en conquérant le pays pour le sultan ottoman. Ce succès fut éphémère car l'année suivante Charles-Quint arriva à Tunis avec 500 navires et établit la domination espagnole sur la région pour une quarantaine d'années.
En 1543, Barberousse s'allia à François I° et fit jonction avec la flotte française devant Marseille. Il hiverna à Toulon.
Il finit par se retirer à Istanbul où il décèda vers 1551.
Portrait de Khéreddine - Médina d'Hammamet
Outch Ali était un renégat calabrais connu comme l'un des plus célèbres corsaires de l'époque. Pris dans sa jeunesse sur les côtes de Calabre et méprisé de la chiourme parce que teigneux, il ne consentit, dit-on, à se convertir à l'Islam que pour se venger d'un Turc qui l'avait frappé.
Il devint rapidement officier de galère (comite), fit la course pour son compte personnel, et se distingua surtout au siège de Malte, sous les ordres d'Hassa Ibn Khereddine et de Dragut.
Dragut était originaire de Chara Balac, sur le Golfe de Boudroun, repaire traditionnel de nombreux pirates et corsaires qui écumaient la Mer Egée.
Le jeune Dragut se mit très tôt au service de Ar Rais, l'un des plus illustres corsaires du Sandjak. Rapidement, il s'initia à la navigation et à la Course, et fit de tels progrès, que Ar Rais finit par lui confier un fuste et une patente de capitaine.
Les résultats des expéditions de Dragut impressionnèrent si bien Ar Rais que celui-ci lui donna le commandement de quelques galères avec lesquelles il put étendre le champ de ses exploits sur la Mer Ionienne et l'Adriatique.
Soliman, lui-même, eut connaissance de la valeur et de l'efficacité de ce corsaire. Il lui confia 20 galères et lui recommanda de poursuivre les flottes chrétiennes.
Ainsi armé, Dragut établit son quartier général à Mahdia, et ravagea tout le littoral italien jusqu'au 10 septembre 1550, date à laquelle les Espagnols lui enlevèrent sa place forte. Il possédait, alors, 36 vaisseaux bien équipés.
Le corsaire décida de mettre sa flotte à la disposition de Hamidah, fils de Moulay Hassan. En échange, il reçut une quantité d'armes et de munitions qui lui permit de monter une expédition contre les ports de Sousse et de Monastir, pour en prendre le contrôle.
Borj des Espagnols à Djerba en 1987 - (© J.F.Coustillière)
En avril 1551, s'étant abrité à Djerba, pour reconstituer et entretenir ses forces, Dragut se fit surprendre par Andréa Doria qui, sur les ordres du Vice-Roi de Sicile, Don Juan de Vega, recherchait le corsaire pour détruire sa flotte.
Rapidement, Dragut comprit que ses navires en carénage ou en entretien ne lui permettraient pas d'affronter l'ennemi avec quelque chance de succès. Il décida de faire creuser un chenal au sud-ouest de l'île, et fit sortir toute sa flotte , de nuit, sans feux, discrètement. Ainsi, put-il échapper à Andréa Doria, et préserver ses bateaux Par la suite, il poursuivit ses activités de corsaire. Il participa à l'opération turco-barbaresque visant à occuper Malte, pour répondre à l'occupation espagnole de Mahdia. Il suivit ensuite Sinan Pacha vers Tripoli, où ils débarquèrent des troupes le 5 août 1551.
Après avoir tenté de créer une Principauté de Petite Syrte, et devant les risques de l'enjeu, il y renonça et se soumit à la Sublime Porte. Il briguait le titre de Gouverneur de Tripoli, mais dut attendre 1553 avant de le recevoir.
Devenu souverain de Tripoli, il était aussi corsaire ottoman. Son ambition toujours importante, le portait à étendre le champ de ses activités. Il lutta contre les Cheikhs indépendants, et attaqua Djerba, Gafsa en 1556 et Kairouan en 1558. Entre-temps, en 1554, les Espagnols avaient quitté Mahdia.
A l'époque, les relations entre la Sublime Porte et Henri II, roi de France, s'étaient améliorées au point que Dragut et Léon Strozzi, général des galères de France, agissaient de concert en mer, et devinrent, en peu de temps, les maîtres incontestés de la Méditerranée.
Cette situation ne devait pas durer. En 1559, Philippe II ayant autorisé les chevaliers de Malte et le vice-roi de Naples à tenter la reconquête de Tripoli, le Duc de Médina Coeli attaqua Djerba et la conquit. Il espérait en faire la base de soutien de sa flotte, pour son expédition.
La flotte du Duc comprenait 53 grosses galères, 28 navires de haut-bord, et une vingtaine de petites galères. Elle portait 14.000 fantassins et un matériel de siège considérable. Face à elle, Dragut ne pouvait disposer immédiatement que de 2 galères. C'est pourquoi il n'hésita pas à s'enfuir, et à se réfugier avec son lieutenant Outch Ali à Tripoli.
Le corsaire envoya son lieutenant demander des secours au Sultan, mais pendant ce temps, la flotte de Médina Coeli établit le blocus de Tripoli. Heureusement, l'amiral dut renoncer à attaquer la ville car ses troupes étaient décimées par la fièvre et la dysenterie. Il décida de retourner à Djerba pour y reposer ses forces.
Le 15 mars 1560, Dragut et Pioli Pacha, l'amiral de la flotte envoyée par le Sultan, surprirent l'escadre ennemie à l'appareillage de Djerba, et la détruisirent complètement. Ce fut un véritable désastre: tous les navires furent pris ou brûlés, les 2.000 chrétiens survivants se réfugièrent dans le fort et se défendirent avec acharnement durant 80 jours, avant d'accepter la rédition.
Pioli Pacha et Dragut rentrèrent triomphalement à Constantinople pour informer Soliman de leur succès.
Les Ottomans, devant cet exploit, entreprirent la reconquête de Malte en 1565 et établirent le blocus de l'île.
Dragut, qui participait à ces opérations, devait y laisser la vie.