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Un historique

Essais historiques > Ports puniques de Carthage

         LES PORTS PUNIQUES DE CARTHAGE                  

par Jean-François Coustillière

(Article publié dans :  la Revue  Cols Bleus n°1989 du 21 mai 1988)

   
             

Les touristes qui visitent la Tunisie, ne manquent jamais de  consacrer quelques  heures,  même parfois  seulement quelques minutes ,  aux vestiges  de  l'antique cité  de Carthage.  S'ils parcourent fréquemment les ruines romaines des thermes d'Antonin, celles  des  villas  ou  du théâtre,  il  est  bien  rare qu'ils s'intéressent à l'un  des témoignages les plus  évocateurs  de la puissance de la cité à l'époque phénicienne: les ports puniques.

Il  est  vrai  que  le  site  n'est  pas particulièrement séduisant ni attrayant.   Un peu à l'écart de la  route qui relie la ville moderne de Carthage à Sidi Bou Said, dans le nord-est de Tunis,  au milieu  de  résidences  bourgeoises,  se trouvent deux lagunes,  proches  de la mer et  communiquant entre elles. Elles marquent l'emplacement  des  ports  antiques.   Envahies  par les herbes et les  roseaux,  elles ont été l'objet de  fouilles et de recherches récentes conduites par  des archéologues britanniques, et plus particulièrement par H.Hurst.

Il faut un gros  effort d'imagination  pour retrouver, à travers  les   rares   vestiges  recouverts   de   terre   ou  de broussailles, les traces des deux grands ports romains qui ont succédé aux ports carthaginois.    Pourtant,   l'importance   étonnante  de  ces constructions  disparues,   le   degré de  technicité  qu'elles supposaient,  et le rôle qu'elles ont eu dans l'histoire maritime de la Tunisie méritent qu'on s'y attarde un peu.

Il faut un gros  effort d'imagination  pour retrouver, à travers  les   rares   vestiges  recouverts   de   terre   ou  de broussailles, les traces des deux grands ports romains qui ont succédé aux ports carthaginois.    Pourtant,   l'importance   étonnante  de  ces constructions  disparues,   le   degré de  technicité  qu'elles supposaient,  et le rôle qu'elles ont eu dans l'histoire maritime de la Tunisie méritent qu'on s'y attarde un peu.

Emplacements des deux ports   (Ed. Tanit - Tunisie)

1- LA CONSTRUCTION


Il est admis de faire remonter la fondation de Carthage à 814 av JC bien que les premiers vestiges connus datent en fait de 750 av JC.  A cette époque, Carthage est un comptoir dépendant de la ville de Tyr.   Dés 540 av JC les Carthaginois s'implantent le long des côtes d'Afrique du  Nord et  du  sud de  l'Espagne, aux Baléares, en Sardaigne et à l'ouest de la Sicile.
Les  guerres puniques  ont lieu respectivement en  264 av JC, 218 av JC et 149 av JC.

Les  ports puniques  comprennent un  port  marchand et un port militaire.   Il est remarquable  de  constater  que  le port marchand semble avoir été construit aux environs du début du III° siècle av JC et le port militaire vers la première moitié  du II° siècle av  JC,  donc très  tardivement, après les grands combats navals, et postérieurement aux deux premières guerres puniques.

Ces deux ports ont été creusés à l'intérieur  des terres, donnant  lieu   à  des  terrassements   très  importants.   Celui nécessaire à la  construction du  port de commerce  est évalué à 120000 mètres cubes de déblais.

Le port militaire a un diamètre de 325  mètres. Au centre est  située une  île ,  elle-même circulaire et de 120  mètres de diamètre.   L'ensemble permettait de disposer d'un plan  d'eau de 4 ha.

Le port marchand,  situé au sud du précédent, fut d'abord rectangulaire puis  hexagonal.   Aujourd'hui  encore, cette forme apparaît bien dans celle de  la lagune existante.   Dans sa plus grande diagonale elle mesure 600 mètres de long.

Les fonds des bassins des deux ports étaient  dallés. Ils communiquaient par un chenal de 20  mètres de large  et il semble que  seul  le  port  de commerce disposait d'un  accès à  la mer. Cependant de  hauts murs  séparaient  les deux  ports, une double enceinte dissimulait le port militaire aux regards  des marins de commerce comme à ceux des gens de la ville,  et un mur de défense s'étendait  à  l'est  des  deux  ports  pour   les protéger  des agressions venant de la mer.


Le port militaire, et au fond, le port marchand        (carte postale INAA Tunisie)

Il semble que ces deux ports aient été complétés par un terre-plein artificiel, dont il ne reste que des vestiges submergés, et sur lequel étaient aménagés des quais destinés aux navires de passage pour qu'ils puissent décharger leurs marchandises.
L'infrastructure et les équipements de ces ports étaient particulièrement complets. Les chercheurs britanniques, s'appuyant sur les travaux de l'historien grec Appien (né à Alexandrie vers 95 après JC), ont pu reconstituer, de façon tout à fait précise, la description du port militaire. Par contre, le port marchand est moins connu, ce qui explique que l'évocationx ci-dessous se limite au premier.



2 - LES AMÉNAGEMENTS DU PORT MILITAIRE

Ce port devait pouvoir accueillir un grand nombre de navires. En effet, la marine carthaginoise, surtout équipée de galères, pouvant avoir une quarantaine de mètres de long, n'hésitait pas à engager plusieurs dizaines de bâtiments dans les combats navals. A l'été 249 av JC, devant le port sicilien de Drapane, une flotte de 120 galères romaines attaqua 100 navires carthaginois; en 242 av JC, aux environs des îles Aegates, 170 bateaux carthaginois affrontèrent 200 navires romains. Ces deux exemples, qui n'étaient pas exceptionnels à l'époque, montrent l'importance de la capacité portuaire nécessaire à la marine carthaginoise.


L'îlot central du port militaire à l'époque punique (carte postale INAA Tunisie)


L'île qui se trouve au centre du port, et les bords extérieurs du bassin étaient aménagés en une série de rampes couvertes , en pente douce, descendant jusqu'au niveau de la mer, où les carthaginois pouvaient haler leurs navires au sec et à l'abri en les faisant glisser sur des poutres disposées transversalement. Ces cales pouvaient accueillir simultanément 220 bateaux. Certaines d'entre elles étaient équipées de fosses destinées à permettre l'accès sous les coques pour y effectuer des travaux de carénage ou d'entretien.
Au dessus des bâtiments qui abritaient ces cales, un étage avait été construit pour les magasins et les entrepôts d'accessoires et d'agrès. De vastes arsenaux permettaient le séchage des voiles, et des gréements, suspendus aux poutres des plafonds.


Coupe des aménagements de l'îlot de l'amirauté avec une galère sur cale

Les entrées des loges à navires,  de six mètres de large, étaient décorées de colonnes ioniques qui  donnaient à l'ensemble l'apparence de portiques.   Elles étaient sculptées dans du grés, puis recouvertes de stuc blanc.   De même tous les  quais étaient faits de blocs de grés.

Au  centre  de  l'île,  un pavillon surélevé  abritait le poste de commandement de l'amiral et une tour de  guet.  Il était possible  ainsi de  diriger les manoeuvres  et  de  surveiller la haute mer.

Enfin,   une   milice  surveillait   l'ensemble   de  ces installations,   et  des  galères  qui   s'y  trouvaient,  contre l'incendie  et  le  sabotage.   L'entretien  des  navires  était contrôlé par un  comité  qui vérifiait les matériels  chaque fois qu'un bâtiment était mis à sec ou remis à l'eau.
            

3 - LE PORT ROMAIN

A l'issue de la troisième guerre  punique,  en 146 av JC, Carthage est prise et Scipion Emilien ordonne sa destruction.
Les Romains,  occupant la "Provincia Africa", Carthage ne tarda  pas  à  redevenir  la  capitale  de  cette  province.  Ils reconstruisirent les ports et les aménagèrent un peu différemment.       Rome avait besoin de transporter le blé de la  plaine de la Medjerda  vers  la  République.   En 180  après JC, l'empereur Commode  fit construire  une flotte spécialement  destinée à cet usage  ce  qui dit  assez  quelle  pouvait  être  l'importance de Carthage, et de son port, pour Rome.

Ce port n'était plus couvert.  Il ne semble pas qu'il ait disposé  des  infrastructures  nécessaires  à  l'entretien  et la réparation.

Au centre un temple fut construit, tandis que le reste de l'île semblait  consacré  aux mouvements  de  marchandises et aux échanges. Le port intérieur avait donc perdu sa fonction militaire.


Le port militaire à l'époque romaine                       (carte postale INAA Tunisie)

4 - LES PORTS PUNIQUES AUJOURD'HUI


Envasé et recouvert de  végétation,  le site n' est pas très engageant.   Cependant,  un guide tunisien vous  désigne les quelques  traces  des cales sèches,  les  restes  des colonnes de soutènement et  les empreintes  des traverses de  halage qui sont les derniers  témoins de  cette époque. Une petite construction moderne abrite les deux maquettes, des ports puniques et romains, élaborées à partir des travaux des archéologues britanniques.


Vue générale du site   dans les années 50

Le terre-plein central est parfois désigné sous l'appellation de "triangle de Falbe" du nom d'un Danois qui l'avait identifié au XIXe siècle.  

Enfin, il semble qu'un élément de quai carthaginois, d'avant 146 av. J.C., ait été découvert par Hurst à proximité sans que cette information n'ait été souvent diffusée.

Ainsi,  et  avec  un peu d'imagination,  ces deux lagunes méritent  quand même  une visite  car elles  sont  chargées d'une grande part de ce que fut l'histoire de la Méditerranée .


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